Eric Vuillard, L'ordre du jour




"Les plus grandes catastrophes s'annoncent souvent à petits pas".

Ce prix Goncourt 2017 est très court et je ne sais pas vraiment comment le qualifier: est-ce un roman, un roman historique, un récit, un essai?
Apprend-on de l'Histoire? Telle est la question qui nous hante après avoir refermé son livre. Nous connaissons la réponse depuis le génocide en Ex-Yougoslavie et le génocide rwandais notamment (et la situation actuelle en Birmanie nous donne malheureusement un exemple plus proche). Alors, peut-on apprendre et tirer des leçons via la littérature? Là où l'Histoire semble échouer, la littérature peut-elle réussir?
Le livre nous fait plonger dans les coulisses de l'Anschluss (période cruciale où Hitler n'a personne pour lui barrer la route). Il nous relate avec une ironie grinçante (et glaçante) une suite de rencontres déterminantes entre 1933 et 1938.
Le Goncourt 2017 est d'une richesse exceptionnelle de par les questionnements contants et sous-jacents qu'il entraîne: sur l'attitude des hommes politiques (laxisme? lâcheté? incrédulité? légèreté? aveuglement des hommes politiques français, anglais, autrichien face à Hitler?), des industriels (complices financeurs d'Hitler sans états d'âme, préoccupés simplement par la pérennité de leur fortune).
Les disproportions entre les ressorts et les conséquences historiques font frémir.
La narration de l'auteur prend une distance désabusée qui ajoute au malaise ressenti par les disproportions sus mentionnées.
Comment cela a-t-il pu arriver?
Le récit entre évidemment en résonance et dessine les silhouettes des hommes qui nous gouvernent. Le propos est terriblement actuel et ce livre n'est pas un énième livre sur la période. Non. Et il n'est pas seulement actuel parce que les industries pointées du doigt par l'auteur continue de prospérer de nos jours (sans jamais avoir été inquiétés!).
Le pire peut encore se reproduire. Ceux qui ont financé les crimes d'hier seraient de nouveaux prêts à recommencer au nom du profit qui gouverne absolument tout, le véritable gouvernant du monde occidental.
La lâcheté, les petits arrangements avec soi-même, la prédominance du pouvoir économique sur tous les autres... Je n'ai cessé de voir des parallèles avec ce qui ronge nos sociétés  et une critique de nos soi-disant démocraties.
N'oublions pas que c'est ce "moins pire" des régimes qui a amené Hitler au pouvoir, qui a conduit aux horreurs inédites des camps de la mort. Non pas qu'il n'y ait pas eu de précédents (il suffit de repenser au génocide des indiens sur lequel les Etats-Unis ont été construits). Mais jamais la mort n'a été érigé en une industrie qui plus est une industrie d'Etat.
Or  ce sont toujours une poignée d'hommes qui détiennent l'argent, qui peuvent donc faire ou défaire nos régimes, qui empoisonnent notre air, notre nourriture, qui agissent sans se préoccuper de nos vies insignifiantes à leurs yeux. Dois-je rappeler les scandales passés (amiante, médiator etc) et ceux à venir?
Eric Vuillard nous pousse à regarder nos démocraties en face.
Nos hommes politiques ont besoin de moyens financiers pour être élu. Que promettent-ils en échange (même si les dons sont plafonnés)? Savez-vous que la gauche qui a instauré l'ISF a fait en sorte que les plus grosses fortunes françaises (par le biais notamment de la technique des cavaliers budgétaires) y échappent?
Il faut mettre ce pouvoir économique toujours affranchi de morale et la montée de l'extrême droite en Europe notamment pour avoir le sang qui se fige immédiatement... (le nouveau chancelier d'Autriche est issu de l'extrême-droite !).
Le Goncourt a donc été attribué à un livre dérangeant car brûlant d'actualité. Bravo!

Commentaires

Articles les plus consultés