Un certain M. Piekielny, François-Henri Désérable

 








Cela fait un certain temps que j'ai fini la lecture de ce deuxième roman de François-Henri Désérable. Mais j'ai éprouvé quelques difficultés à rédiger un avis serein et objectif car ce livre m'a profondément émue pour diverses raisons (certaines personnelles, d'autres moins).
Je commence par un constat: La promesse de l'aube est à l'honneur en cette fin d'année 2017 avec ce livre et le film adapté du roman de Romain Gary.
Rien de fâcheux, au contraire, car cela va permettre à ceux qui ne connaissaient pas Romain Gary de le découvrir. Et il est à espérer que cet engouement ne va pas s'arrêter à ce seul roman. Romain Gary ne se réduit pas à La promesse de l'aube et toute son oeuvre est digne d'intérêt.
Une question préalable qui semble poser problème à de nombreux lecteurs. Faut-il avoir lu La promesse de l'aube pour se plonger dans le roman de FH Désérable? Faut-il l'avoir lu...pour le comprendre? Non, ce préalable n'est pas indispensable mais il est utile pour véritablement l'apprécier. Et je répondrai sans hésitation qu'il FAUT le lire, il faut avoir lu Romain Gary car son génie littéraire pourrait vous toucher et vous permettre de mieux saisir les sentiments quelques décennies après sa mort, qu'il a fait naître chez un jeune homme qui devait devenir écrivain à son tour. Et auquel il allait consacrer ce roman. Il faut connaître la musique des livres de Romain Gary, leur sensibilité, la particularité de son style pour apprécier à sa juste valeur le travail de FH Désérable.

Ce Monsieur Piekielny évoqué dans La promesse de l'aube, a-t-il existé? FH Désirable commence par nous conter son enquête, qui devient très rapidement un prétexte (pour donner vie à Monsieur Piekielny, pour faire intervenir l'imagination de l'écrivain). Comme l'existence avérée ou non de Monsieur Piekielny devient vite secondaire.
Les hypothèses se succèdent ouvrant des brèches dans l'histoire de Romain Gary et plus subrepticement celle de FH Désérable.
J'ai été embarquée dès les premières pages dans cette pseudo-enquête.
Je partage la passion de l'auteur pour Gary/Ajar (depuis l'enfance) et j'avais quelques réserves avant d'entamer ma lecture. Comment osait-il se mesurer à Romain Gary dont le génie littéraire (j'y tiens!) n'est plus à démontrer?  De plus, je n'apprécie guère habituellement les auteurs (au sens large) qui cherche à capitaliser sur le succès d'un autre. Et enfin, qu'allait-il nous apprendre que nous ne sachions pas sur Gary/Ajar?
Car dans sa quête, FHD nous emmène en réalité sur les traces de Romain Gary qui éleva un Monsieur Tout le monde (un petit juif de Lituanie dont l'existence écourtée est noyée dans le chiffre des victimes de la Shoah, chiffre si impressionnant qu'il ne permet peut-être pas de saisir l'horreur de l'entreprise nazi sans processus d'identification) de sa condition ordinaire à l'immortalité.
Mais FHD a une approche personnelle de l'auteur et il donne un sacré coup de neuf au genre autobiographique/biographique.
Le style est enjoué, la plume alerte et souvent brillante. L'auteur alterne humour et drame avec sensibilité, gravité, tendresse et dérision. Il jongle avec habileté entre réalité, imaginaire, mystification, grande et petite histoire, sa plus grande habileté étant de créer Monsieur Piekielny. Les pages dans lesquelles l'auteur imagine la vie qu'aurait pu avoir ce dernier (son métier, ses amours...) sont les plus émouvantes. Toutes les digressions illustrent un angle du livre, rien n'est gratuit.
Sa passion pour Gary/Ajar est communicative. Ce roman touche au coeur, celui de la littérature, celui de l'existence même.
Le thème n'est certes pas nouveau, l'irruption du fictif dans le réel (ou l'inverse) est un thème cher à beaucoup d'écrivains puisqu'il définirait selon eux le genre littéraire.
Car la question qui sous tend le roman est en effet de savoir si l'écrivain n'a pas besoin d'avoir recours à son imagination pour retranscrire un récit et le rendre plus réel, plus accessible et plus universel.
De quoi se nourrit l'imaginaire des écrivains? Comment un auteur trouve-t-il le sujet de son roman?
Ce livre m'a touché grâce à son style et de par les hommages qu'il rend:
- à la littérature tout d'abord, aux écrivains (ils sont nombreux: Gogol, Albert Cohen, Kafka, Joseph Kessel, Chateaubriand, Marcel Proust etc), à la force et la puissance évocatrice de leurs mots, à l'imaginaire dont leur plume se nourrit, à cette particularité qui fait que l'imagination d'un écrivain communique avec celle des lecteurs;
- aux juifs de Lituanie ensuite, à travers Monsieur Piekelny, immortalisé une deuxième fois, à ces juifs de l'Est dont l'existence et la preuve de leur existence ont été détruites. Pour donner corps à cette réalité, il fallait l'incarner et qu'il ait existé ou pas, Monsieur Piekielny a bel et bien vécu.
FH Désérable est sans conteste un écrivain, à suivre de près.
Et pour ce qui est des éléments autobiographiques, je pourrais questionner la véracité de certains propos concernant ses études de droit. Car j'ai suivi le même cursus universitaire et je comprends tout à fait son sujet de thèse (qu'il dit ne pas être compréhensible même pour lui) et je sais qu'on ne devient pas un thésard chargé de TD si on n'est pas investi un minimum dans ses études (c'est-à-dire brillant et/ou ayant de bons rapports avec les enseignants). Mais peu importe la vérité, l'essentiel est que cela soit SA vérité, n'est-ce pas?

Je termine par citer Romain Gary: "Le roman et la vie se confondent, ma vie est une narration tantôt vécue, tantôt imaginée et si un journal américain m'a donné le nom de "collectionneur d'âmes", c'est que je ne cesse de faire mon plein de je innombrables, par tous les pores de ma peau..." (La nuit sera calme, 1974).



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